L'ETRANGE DESTIN DE MALIKA

 

Tout commença par ma rencontre avec Malika. Cela remontait à quelques années en arrière encore, où fraîchement débarqué pour étudier, je fis la connaissance de cette ravissante et surprenante jeune fille. C’était le printemps je crois ; que dis-je ? Une soirée de fin d’hivers plutôt, où le croassement bourdonnant et lointain des corbeaux déchirait par intermittences le silence. Je sortis faire les cent pas dans le bois juste derrière la résidence universitaire. Tant je prenais plaisir du bon air qu’il faisait, encore que je réfléchissais à je ne sais quoi exactement, que je ne me rendisse même pas compte de la nuit déjà tombée. Je m’en suis rendu compte que lorsque le sol, brusquement humide, et par endroits boueux me rendit la marche difficile. De peur de m’enliser d’avantage dans la boue et de salir mes baskets déjà usées, mais  toujours propres, je décidai de rebrousser chemin pour constater qu’en fait, je m’étais bien égaré. Tant les sentiers tortueux et serpentueux se ressemblaient ! J’avançai et avançai encore. C’est alors que surgit devant moi un groupe de jeunes gens, tous aux crânes rasés et de cuir vêtus. Je détalai, le cœur battant la chamade. Mais au fur et à mesure que je courus, j’eus l’écrasante impression de ne point avancer. Comble de malheur, je perdis l’équilibre, dégringolai sur le verglas glissant et me retrouvai face contre neige.
-          Espèce de bâtard ! Où crois donc tu filer ?
-          Ces enculés d’étrangers n’ont donc t-ils  pas compris qu’ils feraient mieux de rester chez eux ?
Ils étaient une demi-douzaine, et même peut être plus encore. La moyenne d’âge devait tourner dans les dix huit ans. Pendant que j’essayai de rassembler mes esprits, tentai et parvins à me relever, j’étais déjà encerclé. Plus moyen de filer et nulle part d’ailleurs. Je me fis en quelques secondes le cinéma mental de ces longues et stériles discussions que nous eûmes à tenir, mes potes et moi, sur la délicate question des agressions répétées et impunies dont sont souvent victimes les étrangers. Discussions au cours desquelles mes propos étaient dans l’ordre, que celui qui se faisait attaquer, blesser ou tuer, était d’une manière ou d’une autre propre responsable du sort qui lui incombait. Car pour ma part, la nature est forcément régie par une sorte de régulation cosmique, où ce qui nous arrive est absolument subordonné aux radiations magnétiques que nous émettons.
« Continue donc de faire ton andouille de positiviste, et on verra si cela te tirera d’affaires quand ces fils de putes de skin head s’en prendront à toi ! » Me rétorquait souvent Serge, mon voisin de chambre , à chaque fois que je tins pareil propos. « Relaxe, relaxe mon gars ! Ne leur donne pas l’impression que t’as la trouille ! » M’encourageais-je.
-          Ecou-éc-c-cou-tez les gars, vous vous trompez sans doute de personne, je ne fais que passer mon chemin…
-          La ferme ! Et à poils!
Pendant que je réfléchissais, à chercher que faire et par où commencer, déjà ils sautèrent sur moi, me détroussaient de mes vêtements, de mes chaussures, et des quelques billets de dollars qui traînaient dans mes poches, et se les partagèrent. Nu comme un ver de terre dans la neige, je me préoccupais tellement de protéger mes parties intimes, de mes mains glacées et nues, que je ne visse point les coups déferler sur moi ; des coups de bottes par-ci dans le ventre, des coups de poings par- là dans le visage. Cela dura à peine l’espace d’une minute et il n’y avait plus personne autour de moi. J’essayai de rassembler ce qui me resta de clarté d’esprit, mais rien n’y fit. Mes doigts déjà ne parvenaient plus à mouvoir ; mes pouls glacés et mes pieds plus que gelés, au contact prolongé du ciment dur et froid de la neige, ne me répondirent d’ailleurs plus. La fontaine de sang, qui tantôt dégoulinait de mes blessures, avait aussi cessé de couler. Alors que j’essayai, dans un puissant élan de survie, à avancer je ne sais même pas où, mon regard soudain se brouilla, puis ce fut le vide, le noir total…
***
Le bruit d’une bouilloire électrique me força à ouvrir les yeux. Allongé dans un vieux canapé, le visage et le corps scotchés de sparadraps, je ne reconnus rien du décor qui m’entourait. Que faisais-je là, que s’était-il passé et combien de temps s’était écoulé ? Aucune idée ! Je tentai de me retourner, pour dévisager où je me trouvais,  et compris très vite à quel point j’avais le corps tout endolori.
-          Ca va mieux ?
La voix était à la fois grave et berceuse. Je m’apprêtai à répondre, mais l’apparition qui déjà se trouvait devant moi,  me coupa net le souffle. Une tasse dans chacune de ses mains, elle se fit une place à côté de moi, et me tendit le bras.
-          Tiens et bois, cela te ferait du bien.
Je pris l’infusion chaude et bus une gorgée, tout en continuant de dévisager l’étrange et belle femme,  assise à côté de moi. Des dentelles rouges ornaient les larges manches et le bas de sa robe noire. Nos regards se surprirent, alors que mon attention, était tout absorbée par le sillon, à la naissance de ses seins, qui semblaient s’échapper du décolleté négligé.
-          Et comment t’appelle-t-on ?
-          Toussaint. Et toi ?
-          Toussaint ? C’est un bien joli prénom. Moi c’est Malika !
Elle m’expliqua, que c’était pendant son retour du boulot, qu’elle avait été amenée à assister à ma bastonnade, qu’elle avait dû se cacher,  pour attendre que mes agresseurs se fussent éloignés, avant de venir à ma rescousse. Elle me fit comprendre, qu’elle aussi eut, à connaître plusieurs de ces brimades injustifiées, de violences xénophobes. Et cela, parce qu’elle n’était pas blonde aux yeux bleus, et surtout, simplement parce qu’elle était Tchétchène.
***
Quelques jours passèrent. Je fus totalement remis de mon état. Les yeux bouffis et le visage hagard, alors que mon voisin de chambre ronflait à en réveiller un sourd-muet, je m’échinai, à recopier les cours, que j’avais dû  sécher,  pendant que j’étais malade. Mon téléphone sonna.
-          Allô ! Tu fais quoi ?
-          J’étudie !
-          Tu me rejoins de suite, je suis en bas de ton bâtiment !
-          T’as vu l’heure qu’il fait? Et puis,  je rattrape des cours importants !
-          Je m’en tape de tes cours. Tu descends immédiatement, ou tu n’entendras plus parler de moi.
C’était quand même ma sauveuse, et je dois à la vérité, avouer que j’espérais, depuis longtemps la revoir. Je m’habillai en toute hâte, et dévalai  les escaliers.
-          Salut !
-          Salut… Monte et accompagne-moi quelque part.
Nous partîmes finalement en boîte, comme elle insistait. Vu, éventuellement, la manière peu commune dont elle était habillée, on lui refusa l’entrée. Vêtue telle une bohème tzigane, elle inspirait très peu confiance. Le surréalisme du spectacle était au comble, d’autant qu’elle traînait, par-dessous l’épaule, un portrait de taille énorme, qu’on eût dit un panneau publicitaire. Le portrait, était la représentation d’une femme à la peau basanée et foncée ; une métisse peut être, mais absolument d’une beauté déconcertante et sauvage. Le regard, comme si porteur d’un message, semblait transmettre quelque chose, que j’eusse l’impression, que par delà la vitrine, était emprisonnée une vie humaine. Pour je ne sais quelle raison, ma compagne ne voulut, absolument pas se défaire du portrait ; à croire qu’elle  craignît quelque chose, en le laissant au garde-robe , quitte à le récupérer à la sortie. Car, on l’autorisa elle, à rentrer et non le portrait. Plantée à l’entrée, telle une sculpture séculaire, et du tout pas bavarde, elle serrait , si amoureusement sur son sein le portrait, comme si ce dernier, était un œuf si fragile, qui d’un moment à un autre, par inadvertance, risquerait de glisser entre ses doigts, et de s’éclabousser au sol. Je courus rapidement jeter un coup d’œil à l’intérieur ; une foule immense de jeunes sautillant au rythme d’une musique endiablée de house ou de techno ; je ne sus que trop. L’odeur des cigarettes, mêlée à celle, âcre des transpirations, me donna littéralement  la nausée. Je m’approchai du comptoir, commandai un verre de bière, que je vidai d’un coup, et aussitôt ressortis.
-          Il y a quel genre de monde à l’intérieur ? Me questionna Malika
-          Rien que des jeunes. Répondis-je.
-          Viens, et foutons le camp !
Pendant qu’elle conduisait, elle éclata en sanglots. Je ne dis rien, et ne demandai rien non plus. Nous garâmes la vieille Lada sur un parking, devant un grand et luxueux restaurant, que fréquentèrent d’ordinaire, des députés du parlement, des hommes d’affaires, en somme, de gros bourgeois. J’eus peur qu’on ne nous refusât, encore une fois l’entrée. Mais, le portier distrait, ne nous fit guère attention. Ce dernier, s’activait plutôt, en courbettes interminables, pour les jolis billets de banque, dont venait de le gracier, un couple sexagénaire, apparemment satisfait des prestations de la maison. A peine avions nous accroché nos manteaux, et pris place, que Malika m’entraînât  tout droit,  je ne sais où. Elle me plaqua au mur, avec une force incroyable. Je pris soudain peur, et me mis à me débattre. Mais elle fut plus forte que moi, exécuta une extraordinaire pirouette, et je me retrouvai à terre, son coude ferme sur ma poitrine, et ses doigts qui, presque m’étouffèrent. Je me préparai au pire. Mais bizarrement, au lieu de m’étrangler, elle se mit, goulûment à m’embrasser, me défit le pantalon,  avec une dextérité extraordinaire ; je ne sus plus ce qui se passait exactement, sinon que mon sang bouillît, et que mes nerfs réagirent. Sans échanger un mot, ni même  un regard, nous fîmes déjà violemment l’amour, bien avant que j’eusse compris, que nous nous trouvions en fait, dans les toilettes. Une fois revenus, nous prîmes place,  et nous asseyions, l’un face à l’autre. Elle me fixa droit dans les yeux et me dit :
-          Vois-tu ce portrait que je traîne ? Il représente tout pour moi. C’est ma mère. Elle étouffait rapidement des larmes,  qui perlaient sur ses joues, et poursuivit :
-          J’avais à peine neuf ans, lorsque toute ma famille fut massacrée. Depuis, j’ai juré de la venger.
-          La venger ? Et comment comptes-tu t’y prendre ? Interrogeai-je naïvement.
Elle ignora ma question et enchaîna : « Des fois, je me demande même si cela vaut le coup. » Elle se tut. Le caviar, qu’elle avait d’autorité commandé pour nous deux fut apporté. Nous mangeâmes, dans un silence, que seul perturbait le tintement des couverts. L’addition amenée, Malika me remit sa carte bancaire, griffonna le code dans la paume de ma main et dit :
-          Dehors, juste en face du restaurant, se trouve un distributeur, tu voudras aller retirer un peu de sous s’il te plaît ?
-          Combien ? Demandai-je.
Elle me remit l’addition. C’était faramineux. Pour un menu qui ne m’avait même pas plu. Elle me regarda partir, le regard larmoyant. L’argent retiré, je traversai la voie, par le passage piéton souterrain, quand tout à coup retentit une assourdissante explosion. Je remontai rapidement les marches. Le restaurant, à l’intérieur duquel, j’étais il y a à peine cinq minutes, était carrément une ruine en flamme. Du feu sortait de partout. Des éclats de briques et de verres,  jonchaient le sol. Une foule de badauds était concentrée devant. Des pompiers étaient déjà sur place. La police aussi. Je fus tétanisé, tant le spectacle était apocalyptique. Je me mis à pleurer à grande gueule, courus dans tous les sens, et répétai sporadiquement, à qui veut m’entendre : c’est de ma faute, c’est de ma faute, c’est de ma faute,…

 джимми Гиацинт

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